Objets ressuscités, vous avez donc une âme

Ce pourrait n’être qu’une boutique d’antiquités comme il en existe tant dans le Perche. Eh bien non. Car derrière le faux désordre de la cour où s’organisent bancs de jardin, poêles en fonte et baignoires en zinc, se tient un atelier. L’atelier de François Bry.

Il est la troisième génération d’une famille de brocanteurs. A Mortagne-au-Perche, un peu à l’écart du centre et de ses boutiques, François Bry est l’héritier d’une maison née en 1921, dans cette même ville, au même endroit. En témoigne une enseigne en tôle émaillée, au-dessus de l’escalier, dans le plus vaste des quatre bâtiments qui encadrent la cour. Amoureux des belles et vieilles choses, François Bry est donc antiquaire. Mais pas seulement. Car l’établissement s’est aussi ouvert à l’ébénisterie dans les années 50, et l’amour de notre homme pour le bois l’a amené à poursuivre l’activité : « Les deux ébénistes de l’époque étaient davantage tournés vers la restauration que vers la création proprement dite, et c’est aussi mon cas. » D’ailleurs le couple venu de l’Arkansas qui visite la boutique ce dimanche a jeté son dévolu sur une large table de ferme soigneusement restaurée par le maître des lieux : « Elle était en assez bon état quand je l’ai trouvée, je n’ai guère eu qu’à démonter les éléments du plateau pour les rapprocher. » Et d’ajouter : « Ce sont des clients fidèles qui viennent chaque année et achètent une ou plusieurs pièces qu’ils font acheminer outre-Atlantique par conteneur. » Alors la table, devenue “indisponible à la vente”, pour reprendre l’expression consacrée, a été remisée dans l’atelier en attendant son départ. Difficilement remisée, car la place restante est chichement comptée dans ce capharnaüm que baigne la pénombre. Ici les machines se comptent par dizaines, les outils par centaines, les pièces de bois par milliers.

Des pièces de toute taille, de toutes essences. Certaines qui se ressemblent un peu sont soigneusement rangées en carrousel sur le sol, autour d’un établi qui déborde d’autres pièces de bois, disparates celles-là, et entassées pêle-mêle. « En général le morceau que je cherche est caché derrière les autres, et quand je parviens à l’attraper tout tombe », s’amuse François Bry. Alors on fait un pas de côté, on se promet de faire attention. Et surtout l’on prend conscience de ce que toute cette matière est aussi de l’histoire, du souvenir accumulé. On comprend que le désordre n’est qu’apparent. Que ce que nous croyons n’être qu’un “bout de bois” est de fait le complément essentiel d’on ne sait encore quoi, que ce qui ne manque encore à rien manquera un jour à quelque chose : on tient déjà la partie, ne manque guère que le tout. Voilà pourquoi cette pièce est soigneusement rangée dans l’atelier et dans la mémoire de François Bry qui demain, dans un an, dans dix ans, ira la chercher là où il se souviendra de l’avoir enfouie. Alors la commode bancale retrouvera son équilibre, l’armoire retrouvera sa corniche, la table de chevet retrouvera un bouton pour son tiroir. Alors la petite pièce de bois d’à peine dix centimètres aura ressuscité le bel objet resté suspendu dans le temps. Alors le passé redeviendra présent.

Texte et photographies: Philippe François

Modèle: Dorothée Legaye

En général le morceau que je cherche est caché derrière les autres, et quand je parviens à l’attraper tout tombe.

François Bry

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